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Bien qu’ils traversent trois saisons de tempérées à chaudes, les paysages nordiques sont surtout définis par l’hiver. La nordicité, cet ensemble de caractéristiques propres aux lieux intimement liés au froid, à la neige et aux journées courtes de l’hiver, affecte le rythme de nos vies en intégralité.
Le terme est créé au début des années 1960 par le géographe et linguiste québécois Louis-Edmond Hamelin pour exprimer la conscience d’une territorialité froide dans l’hémisphère boréal et traduire une appréciation de l’hiver, plutôt que de décrire simplement les conditions physico-climatiques de la saison. La nordicité imprègne la culture et l’identité du Québec de part en part, se manifestant autant dans les œuvres littéraires qu’à travers nos techniques de construction de vêtements ou de bâtiments.
Avec ce regard panoramique sur l’adaptation des sociétés humaines aux conditions extrêmes du nord, le concept de la nordicité porte en lui l’essence de nos relations avec l’espace qui évolue au fil des saisons. De ce fait même, la nordicité évoque des changements cycliques du rôle et de la qualité du territoire qui, à leur tour, entraînent des changements dans nos relations sociales, culturelles et économiques.
Nos quotidiens se déroulent de moins en moins à l’extérieur quand le froid fige. Les rencontres impromptues dans l’espace public se font plus rares quand les pique-niques de fin d’été laissent place aux feuilles mortes de l’automne. Quelques mois après la saison des couleurs, l’hiver rapetisse nos espaces de vie alors que les cours, les balcons et les toits verts disparaissent sous le poids d’une tempête de neige. Ces circonstances sont d’autant plus marquantes pour ceux pour qui « vie sociale » rime avec « domaine public » ou pour toutes les familles qui ne peuvent recevoir leurs proches que grâce à cette grande table de jardin.
Quand le froid s’installe, la vie sociale se réorganise, autour de nouvelles barrières. L’hiver peut intensifier les inégalités sociales, notamment pour les plus vulnérables. Rester au chaud coûte cher. La population en situation d’itinérance fait face à de nouveaux facteurs de risque quand les températures diminuent; les personnes âgées, à mobilité réduite ou handicapée sont généralement plus affectées par une chute de neige soudaine ou par un trottoir impraticable qui les contraint dans leurs activités (aller au travail, à l’épicerie, chez le médecin, etc.)
La population en situation d’itinérance éprouve aussi durement les conséquences du froid dans les régions métropolitaines mais aussi dans les villes de taille moyenne et petite.
Pour les municipalités, l’hiver est également synonyme de dépenses. Pour la Ville de Québec, en 2023 par exemple, les opérations de déneigement ensevelissent environ 4,4% des 1772,2 millions de dollars attribués au budget municipal annuel. La somme est comparable à celle allouée au service de la protection incendie, et sept fois plus élevée que le budget pour la planification de l’aménagement et de l’environnement.9 À Montréal, le déneigement représente 2,9% du budget municipal, soit près de 187 millions de dollars.
La nordicité impacte également les revenus liés à l’industrie du tourisme, qui comptait près de 24 000 entreprises au Québec en 2021. Malgré quelques années difficiles dues à la crise sanitaire de la Covid-19, les experts estiment que l’industrie touristique canadienne retrouvera l’ampleur enregistrée en 2019 lors de l’année 2024.11 Le Canada prévoit donc d’accueillir un peu plus de 5 millions de voyageurs en provenance de l’extérieur du pays dès l’hiver prochain.12 Ceux-ci s’ajoutent aux centaines de milliers de touristes domestiques. Une étude réalisée en 2019 soulignait qu’environ 11 % des Québécois sondés prévoyaient un voyage au Québec durant l’hiver.13 Environ 41 % d’entre eux envisageaient principalement des activités de détente, alors que 29 % prévoyaient des activités extérieures et 9 % planifiaient une expérience de tourisme urbain.
Les activités comme le ski, la planche à neige et la motoneige permettent d’ailleurs au Canada de se démarquer comme destination touristique hivernale mondiale. Les montagnes de ski des Laurentides, de l’Estrie et de Charlevoix attirent près d’un million de visiteurs américains et ontariens chaque année. Pour ces industries saisonnières hivernales, la nordicité entraîne des retombées économiques importantes dans plusieurs villages et régions éloignées du centre de Montréal.
Afin de tirer parti des opportunités de l’hiver et d’atténuer les effets du froid, plusieurs villes élaborent un plan stratégique d’aménagement hivernal. C’est dans cet esprit que le mouvement des villes d’Hiver est né, pour améliorer l’environnement urbain et encourager des pratiques novatrices en matière de design et d’appropriation de l’espace public par la communauté locale, en toutes saisons.
Les plans hivernaux réalisés par les villes d’Edmonton14 et de Beaumont15 en Alberta se démarquent par le répertoire exhaustif d’interventions en aménagement.16 Ces plans sont structurés autour de quatre grands principes:
Plusieurs approches présentées dans le cadre de ces plans stratégiques de Villes d’Hiver cherchent à atténuer les caractéristiques propres à cette saison, comme le froid et l’obscurité tout en ajoutant des couleurs dans les paysages couverts de neige. Elles proposent des interventions dans le but de réchauffer les usagers de l’espace public pour leur permettre de profiter des espaces extérieurs plus aisément. Bien que mitiger les caractéristiques de l’hiver par la création de microclimats ait ses mérites, d’autres pratiques cherchent plutôt à tirer parti du froid, de la période nocturne étendue, du gel et de la neige pour offrir des expériences proprement hivernales.
La deuxième publication en lien avec la thématique de la nordicité porte sur de telles pratiques. Elle présente des exemples concrets d’aménagement imaginés pour profiter de l’hiver et en détaille les atouts dans une optique de résilience territoriale.
1 « Chutes chez les aînés au Canada – Infographie », Agence de la santé publique du Canada, 2015, https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/vieillissement-aines/publications/publications-grand-public/chutes-chez-aines-canada-deuxieme-rapport/chutes-chez-aines-canada-infographie.html.
2 Agence de la santé publique du Canada, « Chutes chez les aînés au Canada : Deuxième rapport », Gouvernement, 2014, https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/vieillissement-aines/publications/publications-grand-public/chutes-chez-aines-canada-deuxieme-rapport.html.
3 Gouvernement du Canada, « Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe ». Le taux d’accroissement de ce segment de la population a été de 3,85 % en 2019, 3,7 % en 2020, 3,47 % en 2021 et 3,51 % en 2022.
4 Institut de la statistique du Québec, « Portrait des personnes aînées au Québec » (Gouvernement du Québec, 2023), 18.
5 Institut de la statistique du Québec, 18.
6 Eric Latimer et François Bordeleau, « Dénombrement des personnes en situation d’itinérance au Québec le 24 avril 2018 » (Montréal : Ministère de la Santé et des services sociaux, 2019).
7 « Centre Le Havre », s. d., http://centrelehavre.com/.
8 « Centre Le Havre ».
9 Services des Finances, « Budget 2023 » (Ville de Québec: Ville de Québec, 2022).
10 Donnée du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation compilées et analysées par BC2.
11 Destination Canada, « Perspectives touristiques: Faits saillants des prévisions » (Ottawa: Destination Canada, 2022).
12 « Recherche: Total des arrivées de voyageurs étrangers », Destination Canada, s. d., https://www.destinationcanada.com/fr/recherche.
13 « Sondage, Intentions de voyage. Hiver 2019-2020 » (Gouvernement du Québec, s. d.), https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/tourisme/etudes-statistiques/intentions-voyage-hiver-2019-2020.pdf?1594662017.
14 « Winter Design Guidelines: Transforming Edmonton into a Great Winter City » (Edmonton: City of Edmonton, 2016).
15 Dialog, « Beaumont Winter City Strategy » (Beaumont: City of Beaumont, 2022).
16 Voir également le rapport réalisé par Vivre en Ville qui porte sur un grand ensemble de stratégies d’aménagement imaginées dans le contexte de l’hiver montréalais : Vivre en Ville, « Ville d’hiver : Principes et stratégies d’aménagement hivernal du réseau actif d’espaces publics montréalais » (Montréal : Vivre en Ville, 2018).