16-11-2022

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Espaces publics : enjeux de gestion et de gouvernance

Chapitres

Dans une conférence à deux voix, organisée par La Pépinière, Jérôme Barth et Jérôme Glad réfléchissent aux apports du modèle de partenariat public-privé de la conservancy pour la gestion de nos espaces publics urbains.

Cet échange virtuel offrait un coffre à outils pour penser le futur post-pandémique qui, aujourd’hui, reste pertinent pour assurer le bien-être et la santé publique en ville.

Les enjeux de gestion des infrastructures urbaines

La gestion et la gouvernance des infrastructures urbaines ont nourri d’importants débats depuis les années 1970. Notamment, les enjeux de prise en charge financière du développement, de la construction et de l’entretien des espaces publics par le biais de partenariats publics-privés ont été analysés sous les angles successifs de l’amélioration du développement, de la fragmentation de l’expérience urbaine ou encore de l’incitation à l’exercice de la citoyenneté urbaine.

La conférence de Jérôme Barth et Jérôme Glad offre un regard nouveau sur ces discussions. L’échange entre ces deux experts souligne que les temps de la crise – financière, sanitaire, environnementale, etc. – peuvent aussi ouvrir l’opportunité de renouveler les formules de gestion et de gouvernance des espaces publics.

L’importance des infrastructures sociales qui, par-dessus les infrastructures matérielles, façonnent la convivialité de la ville est reconnue. En raison des moindres budgets de développement de cette strate d’urbanité, des solutions créatives favorisent les aménagements légers et peu coûteux qui augmentent les possibilités et la qualité de ces interactions sociales.

Dans un contexte de préoccupation pour la santé publique et le bien-être citadin, les espaces publics jouent un rôle-clé encore plus important : ils permettent l’expérimentation de formes de sociabilités à distance. Bien connaître le panorama des options de gestion et de gouvernance existantes permettrait d’alléger la pression sur les pouvoirs publics tout en rendant accessibles au plus grand nombre des espaces diversifiés, et ce, dans une perspective d’équité territoriale.

Le modèle de la conservancy

Jérôme Barth (Town Square, placemaking) tire une partie de son expérience de la gestion de la conservancy de Bryant Park, à Manhattan. La gestion déléguée du bien public à des acteurs communautaires et privés est l’une des initiatives développées à New York lors de la crise financière des années 1970. Avec les services sociaux pour itinérants, les Charter Schools et les Business Improvement Districts, les conservancies permettent à New York de retrouver les coudées franches sur le plan financier et de se départir de son image de ville en crise et sans futur. Elle redevient attractive et se positionne comme ville mondiale.

Le modèle de gestion de la conservancy consiste à distribuer des subventions à des groupes privés ou communautaires qui, en échange, offrent la prestation d’un bouquet de services à une zone géographique déterminée.

Cette approche privilégie l’échelle locale. Elle s’appuie sur divers courants de pensée, dont celui sur la gouvernance des communs, porté par Elinor Ostrom. Ses travaux sur les modèles de gouvernance polycentrique montrent qu’il est possible de rassembler, au sein d’un système complexe, une grande variété d’acteurs dont les intérêts divergent ou sont conflictuels. Ces modèles permettent de proposer des solutions durables, fondées sur le consensus et la prise en compte de contextes spécifiques.

À New York, une dizaine de partenariats ont été mis en place, de la Greater Jamaica Development Corporation à la High Line. La conservancy de Bryant Park a amené de nombreuses retombées positives. Elle a permis de combler les déficits en matière de mobilier urbain (parasols, tables et chaises, entretien exemplaire de toilettes publiques, aménagements paysagers), de diminuer les dépenses publiques, de créer des espaces vivants et d’augmenter le nombre d’emplois sur le site.

Ce succès tient à la bonne définition préalable d’une stratégie et d’une orientation commune entre les partenaires publics et privés, et aux démarches entreprises pour s’assurer de la bonne gestion du transfert de compétences.

La présence des bonnes personnes autour de la table permet d’augmenter les chances de succès, et de définir un intérêt commun dans la gestion de l’espace.

Selon le conférencier, la formule de la conservancy permettrait de se libérer des cadres contraignants de la gestion publique tout en offrant un service et des infrastructures améliorés au bénéfice de tous. Le budget annuel de Bryant Park, multiplié par dix, et le nombre de visiteurs, passé de 200 000 à 8 millions, sont des signes de réussite.

Les modèles hybrides au Québec

La seconde partie de la conférence (Jérôme Glad, la Pépinière) offre un ancrage montréalais au propos. Les conservancies new-yorkais n’ont pas été répliqués à l’identique au Québec francophone. Cependant, on retrouve des modèles hybrides qui s’y apparentent. Les points les plus importants sont ceux d’une bonne organisation et d’un bon échange en amont des projets, surtout dans les situations de délégation à un prestataire externe.

L’élaboration d’une vision collective sur l’espace doit venir avant le design des espaces publics, reposer sur un cadre réglementaire propice et identifier des organismes de gestion spécifiques.

Ces conditions assurent aussi la pérennité des initiatives ainsi que la cohérence du travail de l’organisme délégataire et de l’action publique. Ces ententes de cogestion peuvent être difficiles à débloquer, mais elles ont une grande valeur pour l’amélioration des milieux de vie et l’implication des communautés.

La société de la rivière Saint-Charles (Québec), les Jardins Gamelin à Montréal, les Amis de la Montagne, la Société de Développement Corporatif (SDC) Wellington et le Quartier Saint-Sauveur (Québec) sont des initiatives mixtes construites sur un modèle proche de celui de la conservancy.

Les modèles d’affaires gagnants favorisent un financement tripartite, avec la participation du privé (banques, commandites), du public (budget, subvention, prêt de matériel) ainsi que la génération de revenus autonomes (ventes et location).

Le modèle de la conservancy prête malgré tout le flanc à quelques critiques. D’abord, tous les modèles de conservancies sont différents, cette diversité pouvant s’avérer complexe à gérer par les villes. Cependant, ces formules sur mesure reflètent aussi la diversité des écosystèmes communautaires et entrepreneuriaux dans lesquels elles s’implantent.

Par ailleurs, des réserves ont aussi été formulées quant à l’implantation de nouveaux partenariats dans des espaces ou le maillage entrepreneurial et communautaire est déjà important. En théorie, cependant, la conservancy ne devrait pas immobiliser les autres organismes, mais plutôt soutenir leur action. Enfin, le rapport à la publicité commerciale peut sembler épineux. Il appartient donc aux parties prenantes de définir le modèle promotionnel qui soutiendra le fonctionnement du partenariat.

Au final, la conférence permet de réaffirmer l’importance des processus de planification stratégique dans la définition de modèles de gouvernance fondés sur une complexité d’acteurs. La définition d’une vision commune et d’objectifs consensuels constitue un préalable indispensable à la bonne assise de ces partenariats dans les communautés. La définition collective d’un plan d’action fournit aussi des cadres à la réalisation de bilans réguliers et à l’adaptation des objectifs à l’évolution des projets.

Pour aller plus loin

  • Conférence organisée par La Pépinière et donnée par Jérôme Barth (TownSquare, placemaking) et Jérôme Glad (La Pépinière)
  • Greenberg, M. (2008). Branding New York. How a City in Crisis was sold to the World. New York: Routledge.
  • Ostrom, E. (1990). Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press.
  • Project for Public Spaces:  https://www.pps.org/